Le dominicain
Vous connaissez l'Ordre des prêcheurs? Leur nom familier est Dominicain, du nom de leur fondateur au XIIIème
siècle, l'espagnol Dominique de Guzman. Saint Dominique pour les
Catholiques. Le fer de lance de l'Inquisition, à une certaine époque,
c'était cet ordre religieux monastique. De nos jours, ils ont subi le
sort de nombreuses institutions catholiques : le manque de
relève.
Au début des années 80, je
vivais à Montréal. Je me rappelle être venue en visite dans mon village
natal (Québec) et avoir passé une partie de la soirée avec un jeune
homme de 23 ans qui était novice chez les Dominicains et étudiait
l'orgue au Conservatoire. Il portait le costume blanc traditionnel.
J'étais moi-même dans la vingtaine, mais plus âgée. À une époque où des
personnes désertaient massivement les congrégations et ordres religieux,
c'était un oiseau rare. J'étais curieuse des raisons qui pouvaient
motiver un tel choix. Être Dominicain, pourquoi pas si on est heureux
là-dedans et qu'on est sain d'esprit? Surtout qu'ils n'envoient plus
personne à la mort.
Le beau jeune homme venait
de la campagne pas loin de Québec. Il avait les cheveux foncés et un peu
de barbe et moustache. Moi qui ne fréquentais plus l'église
depuis 1969, ça me faisait tout drôle à cause de la tonsure que j'avais
connue dans le temps. C'était pas mal plus ras. En plus, on le laissait
sortir dans un café, là où il pouvait être soumis à n'importe quelle
tentation du monde profane. Comme il n'était pas laid, qu'il avait de la
personnalité et une spiritualité intéressante, je le regardais les deux
yeux croches et je trouvais que c'était une perte pour l'avenir du
Québec. Mais je peux vous dire qu'il n'est pas tombé dans le piège que
je lui ai tendu. Il était vraiment chaste. Ou plutôt il y croyait
vraiment. J'attendais quelqu'un. Les Prêcheurs sont ordonnés.
C'est-à-dire que n'importe quoi que peut faire un prêtre catholique ils
peuvent le faire, dont la Confession. Alors je lui ai dit que
j'attendais quelqu'un, que moi et le monsieur ce serait contre le 9ème
commandement. Je demandais son absolution. Il est parti à rire et me
l'a donné. Je parle de l'absolution. Je l'ai trouvé très tolérant,
surtout que j'avais connu de l'église l'ancien système, celui d'avant le
concile, où il m'aurait recommandé d'être sage à la place. En fait,
l'institution est restée intolérante. Elle a juste changé son discours.
Mais ses représentants avec qui j'ai personnellement fait affaire, dont
lui, l'étaient eux, tolérants. L'arrivée du monsieur avec qui j'allais
commettre le péché a terminé la rencontre.
Plus
tard, quand je suis revenue à Québec au début des années 90, j'ai revu
le gars de loin à un de mes premiers concerts des Amis de l'orgue. En
tout cas, pour moi ça ne faisait pas fait de doutes que c'était lui. Il
était toujours habillé du costume et un peu plus vieux. J'ai estimé
qu'il devait être au début de la trentaine. Je ne lui ai pas parlé.
Pourquoi je m'en rappelle après toutes ces années? L'autre jour, j'ai simplement passé devant le café en question. Il existe encore après tant d'années.
En
cherchant à le retrouver (il n'y a pas tant de religieux qui sont
organistes), j'ai découvert que j'avais eu affaire à un jeune comédien
dont j'avais alimenté l'improvisation sans m'en rendre compte. Plus
naïve, tu meurs. En fait, le Conservatoire oui, mais celui d'art
dramatique pas celui de musique. À l'époque, je ne savais pas qu'il y
avait un conservatoire d'art dramatique à Québec. Et comme je le croyais
religieux, l'orgue avait du sens surtout qu'il y avait des précédents,
comme Dom André Laberge. Le jeune homme ne m'avait pas détrompée, bien
sûr. Je ne l'ai été qu'après plus de vingt ans.
© Michèle Dessureault, 2006, 2018
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