Maniaque des vidanges

J'ai souvent voulu écrire à Claude Meunier, notre popa national, à propos du mien.

Son maniaque des vidanges était si près de mon père que les deux bras m'en tombaient.

Ça n'allait pas jusqu'à séparer le dur du mou mais pas loin puisque mon père faisait du compostage pour son jardin, ce qui nous obligeait à faire du classement. Ça n'allait pas non plus jusqu'à en mettre dans le congélateur en attendant la collecte municipale. Ça prenait plutôt la route du cabanon. Mon père avait encore un certain jugement.

Mais des sacs à remplir partout, des sacs blancs d'épicerie en plastique, accrochés aux poignées de porte comme autant de troncs d'église, avec comme geste sacré un transvidage de l'un vers l'autre quand il fallait en finir un avant que ça sente trop. Parce qu'il fallait que ce soit rempli à ras bord pour se retrouver dans le cabanon et qu'il ne fallait pas non plus les gaspiller. Sans compter le ronchonnage si c'était mal classé!

Au Québec, les maisons, les appartements ont toujours deux portes. Celle d'en avant, donnant sur la rue, est protocolaire, formelle, décorative. Vouée aux étrangers à la famille, elle donne sur le salon. La porte d'en arrière ou sur le côté a une architecture moins recherchée, donne sur la cuisine ou la salle à manger et est dédiée aux amis et à la famille. Chez mes parents, elle donnait aussi sur l'escalier de la cave avec une porte pour séparer de la cuisine. Le comité d'accueil quand on rentrait par cette porte? Vous l'avez deviné : un sac de déchets ! Le principal. Celui qui se remplissait le plus vite puisque c'était là que se retrouvaient les déchets compostables de nos repas, avec quand même quelques relents. On s'en moquait ouvertement. Mais mon père n'a jamais voulu le changer de place!

Quand je suis déménagée de Montréal à Québec, en 1983, j'ai fait une gageure avec mon tifrère. Il s'agissait de mon rideau de douche. Mon frère voulait le laisser là-bas dans un des sacs verts. Moi, je voulais l'amener pour voir si mon père le transformerait en sacs de vidanges. C'est moi qui ai gagné ! Quand je lui ai montré le rideau, mon père est parti avec à la course comme avec le plus beau des cadeaux. Quelques jours plus tard, on a commencé à voir le rideau transformé en sacs. Il l'avait découpé en plusieurs morceaux qu'il avait taqués à la brocheuse pour leur donner forme et que ça tienne.
Alors monsieur Meunier, si jamais vous lisez ces lignes, vous saurez enfin que popa avait un modèle insoupçonné et que c'était mon popa à moi.

Pour ceux qui ne sont pas dans le contexte, popa était le membre d'une famille complètement disjonctée qui a fait rire le Québec il y a une dizaine d'années à la télévision.

© Michèle Dessureault, 2007, 2018

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