Tante Thé

«Tu sauras, ma fille, que les artisses, ça mène des vies de débauche. Alors les arts oublie-ça!».

La personne qui me disait ça était ma mère, qui avait pourtant fait les Beaux-Arts (enfin une partie), étudiait la peinture avec Francesco Iacurto, faisait du pastel, de la peinture à l'aiguille, du macramé, l'enseignait et avait même gagné des prix provinciaux. Cherchez l'erreur!

Ma mère qui était partie de la maison familiale à 33 ans pour se marier, aussi blanche et pure qu'un grand lys sentant bon le printemps :-D.

Il y avait d'autres artistes chez les Paquet. Pas beaucoup. Celle dont je voudrais vous parler fut ma tante préférée, ma tante Thérèse, Tante Thé, la Grande Jos, soeur cadette de ma mère mais aussi sa meilleure amie.

Si les artistes mènent des vies de débauche, alors ça doit être le fun en maudit! Avec elle on ne s'ennuyait jamais! Elle avait une imagination sans limites!

Mes grands-parents ont habité près de 20 ans dans la paroisse St-Martyrs de Québec, coin Brown et Fraser. C'est la Haute-ville et ça correspond à un certain statut social (haute bourgeoisie). En 1949, Thérèse sortait le soir et rentrait à quatre heures du matin avec sa puissante moto, une Jawa.

Dans les années 50, elle a fait un service militaire, dans ce qui s'appelait à l'époque les CWAAC, Canadian Women Army Auxiliary Corps, le Corps auxiliaire féminin de l'armée canadienne.

Ma cousine Lise est née en 1958. Dans les années 70, je me suis rendue compte qu'elle était née Lise Paquet. Thérèse, qui habitait chez ses parents, devait se battre avec eux pour garder sa fille. Dans l'entourage immédiat, ça flippait. À sa mort, quand j'ai su son âge, j'ai aussi réalisé que ce n'était pas une mère adolescente, séduite et abandonnée, mais une femme de 34 ans qui savait ce qu'elle faisait.

Thérèse s'est mariée, après quelque temps, avec le père de Lise. Ça n'a pas été une union reposante, avec quand même un deuxième enfant. Quand la loi sur le divorce est passée, en 1968, ils ont été dans les premiers à en profiter. Ils étaient déjà séparés depuis plusieurs années!

Elle avait fini les Beaux-Arts et était dessinatrice de mode à la pige, chaleureuse, imaginative et très peu à l'argent: deux faillites personnelles à une époque où c'était très mal vu, ses impôts seulement quand le Revenu se rappelait d'elle, une maison à crédit avec une murale qu'elle avait faite elle-même et parfois de vagues odeurs cannabiques, des soupers fins au Château Frontenac, ma première fondue au chocolat, des tailleurs signés Chanel, des chiens de race, des chums jamais dans le placard. Le dernier que j'ai connu avait 34 ans et était près de 20 ans plus jeune qu'elle. Il ne savait pas son âge réel. Elle était très bien conservée. À 50 ans passé, elle poignait encore!

À part ça deux enfants à élever avec ses seuls moyens. Et des années qui passaient avec de moins en moins de contrats puisque la photo de mode, moins chère, avait peu à peu remplacé le dessin.

Je me rappelle un lift qu'elle m'avait donné pour aller à l'université. J'étais sur le siège du passager et le plancher était tellement rouillé que je voyais avec une certaine détresse l'asphalte du chemin défiler sous mes pieds.

Elle est morte à la fin des années 70, à 54 ans, d'un cancer du sein qui s'est généralisé. Même après toutes ces années, je ne peux m'empêcher de penser à elle sans un pincement de coeur. Ma cousine Lise est la seule personne du côté de ma mère que je vois encore. Quand à son frère, mon cousin, je ne l'ai plus revu depuis 25 ans, lorsqu'il est parti rejoindre son père.

Je n'ai aucune photo d'elle, ni aucune de ses toiles (parce qu'elle peignait aussi) en souvenir.

© Michèle Dessureault, 2006, 2018

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