Épée Indomptable, Clarté Lumineuse - Dix-septième chant

Le musicien se réveilla. Il s’était encore assoupi. Il tâta le front de Taide, puis réaménagea ses oreillers et sa couette pour lui donner de la fraîcheur. Elle était toujours fiévreuse mais aucun nénuphar n’était encore sorti de son cœur, comme les autres patients à l’essai.

Il lui caressa la joue et lui murmura des mantras de guérison à l’oreille. Il retourna sur sa chaise et recommença à murmurer des chansons d’amour. Il la couvait avec affection. Il allait lui dire qu’il la rejoignait dans la mort, qu’il se rendit compte là, seulement là, qu’il n’avait pas encore attrapé la maladie. Normalement, il aurait dû.

Et au loin, il vit arriver Neuf Nuages, mal en point, soutenu par des infirmiers. Ulfilla ne put entendre leur conversation mais peu après, un médecin entra dans celle-ci. Puis, il s’approcha du barde en balançant un petit sac.

— Neuf Nuages est retourné aux sources magiques tout à l’heure. Il a réussi à se faire piquer par l’insecte qu’il avait vu sur Taide et a été capable de le mettre dans un sac. Ceci. Il a été capable de venir jusqu’ici mais il est complètement épuisé. Seule sa forte constitution l’a aidé. S’il devient malade lui aussi, on sera pas mal sûr que c’est la piqûre de cette bibitte qui donne la maladie.

Et effectivement, les symptômes apparurent chez lui aussi. Il dut être alité et recevoir les premiers traitements.

Ulfilla s’approcha du danseur. Il n’allait pas le border, lui. Par contre, il était ébahi de la loyauté qu’il portait à son épouse. Celle qu’il avait toujours accordé à la Princesse. Assez amoureux pour jouer au cobaye avec l’insecte qu’il avait remarqué et expérimenter la piqûre sur lui-même, en prenant le risque de devenir malade à son tour.

Comme à Taide, il lui murmura des mantras de guérison à l’oreille et lui émit des vibrations d’amour spirituel.

Puis il retourna à sa chaise et continua sa liasse.

———

Il savait que celle-ci venait de l’ermitage.

« Lumière d’Érudition est venu me voir cet après-midi. Il m’a montré une lettre qui circule sous le manteau. Quand j’ai lu le contenu, j’ai hurlé (QUOI?). On a dû m’entendre à des îles à la ronde. »

« Ce serait une lettre écrite à telle date par Clarté Lumineuse et m’annonçant sa grossesse, où je serais le père. »

« — Lumière d’Érudition, qui a écrit ce tissu de mensonges? lui ai-je demandé. Clarté Lumineuse et moi avons jamais enfreint le tabou sexuel. L’idée qu’elle soit enceinte est tout simplement grotesque. C’est même pas son écriture. En plus, elle parle même pas des sources magiques. C’est de la fornication. Et regarde la date. Elle implique un moment de conception où j’étais en mission en dehors des Îles avec les autres Gardiens. À cette époque, elle et moi étions même pas amoureux. »

« On cherche encore à nous atteindre. Ça revient à nous traiter de fornicateurs. »

« Je vais nous défendre. Demande à la Princesse des exemples de son écriture. Et l’archiviste qui prend en note tout ce que je fais à la minute près, est-ce qu’il peut m’en faire une copie? À partir de, mettons, six mois avant la date. Le temps qu’un ventre paraisse. »

Une entrée quelques jours plus tard :

« Nous sommes allés à la cour de justice que tient le roi ce matin avec nos preuves. Clarté Lumineuse a produit des exemples de son écriture. Pour l’agenda, la preuve est encore plus solide puisque ça vient d’un canal certifié. J’ai dû jurer de la pureté de nos mœurs devant toute cette foule. Nous humilier devant tous ces gens... »

« En sortant de la cour, j’ai entendu quelqu’un dire que l’enfant devait venir de quelqu’un d’autre et qu’elle voulait me le faire endosser, qu’elle avait même pas conçu des sources magiques. Même en ayant prouvé que la lettre était un faux, qu’il n’y avait pas d’enfant, il y en a toujours pour douter de sa moralité à elle. Elle passe pour une fornicatrice. S’il y a quelqu’un ayant de la droiture, c’est bien elle. »

« Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois? »

———

Quand Ulfilla ouvrit cette liasse, il comprit que la fin du journal approchait.

« Ma princesse est maintenant bien mariée. Neuf Nuages est revenu ce matin de son voyage aux Montagnes Fleuries. »

« Avant de partir, elle a dû jurer de ne jamais utiliser là-bas la téléportation, quoiqu’il arrive. »

« Alors, j’ai demandé au danseur de rester en contact avec ma dame pour avoir régulièrement de ses nouvelles. Non seulement il peut se téléporter comme nous mais il peut se rendre invisible à volonté. Elle est le plus souvent entourée de suivantes. Ils ont convenu d’un signe pour signifier sa présence s’il ne peut pas s’exposer immédiatement. Quand elle est seule, il se montre et ils peuvent parler. Quand elle est isolée avec le roi, il est incapable de les voir et de les entendre mais ma Princesse lui fait ses confidences. Je peux me fier à la parole de Neuf Nuages. Depuis le nombre d’années, je connais son intégrité. »

« Son époux la viole à répétition et elle est devenue enceinte. Les deux premières fois, elle a fait des fausses couches mais le roi a dû finir par comprendre qu’il était mieux de la laisser tranquille s’il voulait qu’un bébé se fasse. Il est violent et la déconsidère complètement. Il lui fait payer ce qu’il estime être sa déloyauté. Elle est très malheureuse. Elle est complètement dépressive. Elle craint d’être assassinée après la naissance. Elle a la sensation qu’on l’a tous abandonnée à son sort, à part Neuf Nuages. Celui-ci a dû la remonter lors d’une visite: elle se sentait suicidaire.  »

« — Neuf Nuages, je crois qu’on doit la délivrer. On va planifier quelque chose mais on doit pas nous soupçonner. Et c’est mieux d’attendre après l’accouchement. C’est surtout là qu’elle risque d’être assassinée. Les Îles doivent lui envoyer des cadeaux pour la naissance du bébé. Tu feras partie de la délégation. Mais on pourra rien faire avant le retour de celle-ci sinon, vous risquez tous d’en pâtir. Avertis la Princesse de se préparer pour ce moment.  »

Les cadeaux étaient somptueux et les Florimontains ravis de revoir ce jeune danseur si talentueux. Pourtant, Clarté Lumineuse n’apparut pas de toutes les cérémonies. Seul le bébé, un petit garçon, fut exhibé à un moment donné. Dans ce royaume, la coutume exigeait de ne jamais montrer une épouse en public, à fortiori une femme secondaire, selon son statut. Neuf Nuages réussit quand même à la prévenir, de se tenir prête, qu’il viendrait la chercher sitôt le carassin à une certaine distance.  Il suffisait qu’elle ne boive pas quand il lui ferait un certain signe.

Le moment venu, le danseur l’avertit de sa présence. Rarement seule, elle était dehors dans le jardin avec ses suivantes et une servante leur amena des rafraîchissements. L’Îlien y avait mis des somnifères. Quand tout le monde fut endormi sauf la princesse, assuré de l’absence de témoin, il lui apparut, lui prit la main et les deux disparurent. Ils réapparurent dans l’univers des mortels à un endroit discret où les attendaient le Seigneur… 

Le monde mortel, un endroit idéal où rester introuvable pour toujours, avec son immensité populeuse, et sa réincarnation au bout de seulement quelques mois de l’univers des Îles... 

Le bébé fut oublié pour toujours.

———

Et finalement ceci :

« C’est la dernière entrée de ce journal. Après demain, je dois me rendre pour subir ma punition. Parce que je suis Grand Gardien, on m’a pas mis en prison. Aujourd’hui et demain, je mets tout à l’ordre et je vais recevoir les adieux de mes amis. Ma punition? Je suis banni dans le monde des mortels avec des missions qu’on m’a données. »

 « La semaine dernière, la nouvelle est arrivée que la Princesse avait disparu. Le royaume des Montagnes Fleuries m’en tient responsable et demandent ma punition, sinon… Je n’ai jamais mis les pieds là-bas. Du grand n’importe quoi. Les Florimontains n’ont pas de preuves à montrer, mais moi non plus. Ils auraient pu très bien l’avoir tuée — ils en avaient l’intention — et m’en faire porter la responsabilité, mais comme je connais la vérité… »

« J’ai admis être derrière sa disparition, tout en couvrant Neuf Nuages. Ma perte mettra notre souverain dans le trouble mais tant pis. Retrouver ma belle compte plus pour moi que tous les problèmes réunis des Îles Suspendues. »

« Pour les missions, je vais garder tous mes pouvoirs magiques et au cas où elles durent plus longtemps qu’une vie humaine, la mémoire de ma langue actuelle pour mes incarnations futures, qui seront aussi dépositaires de ma magie. Ils enverront quelqu’un à chacune de mes nouvelles incarnations pour tout réactualiser. Et ce quelqu’un sera aussi mon contact avec les Îles. Comme on m’a laissé le choix, j’ai demandé à Neuf Nuages et à Lumière d’Érudition, toujours aussi fidèles, s’ils voulaient bien être ces contacts et ils ont accepté. Je vais être banni indéfiniment des Îles et ma bien-aimée aussi. Ils veulent même pas qu’elle revienne, sous une forme ou une autre. Elle a pu négocier le même arrangement qu’avec moi. On fera une fameuse équipe.»

« Et si le bannissement est révoqué un jour, j’accepterai de revenir seulement avec toi, ma Clarté Lumineuse, quelle que soit l’incarnation où on sera rendus. Je le promets. »

« Ma belle et douce Clarté Lumineuse, bientôt on va se rejoindre. Et je pourrai enfin tenir la promesse que je t’avais faite : faire de toi ma femme pour l’éternité. » 

« Et nous aurons des enfants. »

Le couple s’était effectivement marié et avait donné la vie à trois enfants. Ils avaient été accueillis de nouveau au royaume de Siglun, où ils avaient terminé leur vie. 

Ulfilla subit une crise de romantisme. Finalement c’était une belle histoire d’amour. Surtout qu’à quelques existences près, Taide et lui en étaient les protagonistes.

Ulfilla essuya les larmes qui perlaient à ses yeux. 

———
 
 

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© Michèle Dessureault, 2024

 


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