Épée Indomptable, Clarté Lumineuse - Premier chant

Dans les contes et légendes véhiculés par les bardes des royaumes, une des héroïnes les plus appréciées s’appelait Nim aux cheveux d’or.

Dans la jeune trentaine, blonde dorée aux longs cheveux flottant jusqu’aux mollets recouvrant pudiquement sa poitrine, elle portait une couronne de fleurs blanches. Très belle, très en forme, les gens la rencontraient le plus souvent toute nue chevauchant sans selle un beau palefroi blanc. 

Parce que nue et belle à en mourir, elle rendait fou de désir la plupart des hommes qui la rencontraient. Mais, pour la séduire, il fallait monter sur la croupe de son cheval, derrière elle, sans se laisser désarçonner, et pouvoir s'emparer d’une des fleurs de sa couronne. Ce qui n'était pas si facile. Car il fallait la mériter par toutes sortes d'exploits et être très pur, dépouillé de toute fausseté, ce qui était symbolisé par la nudité totale exigée pour s'agripper à elle. Et celui qui réussissait pouvait prétendre à une source intarissable de richesse, d’amour, de santé et de spiritualité.

Certains affirmaient l’avoir déjà vue sur un pur-sang noir. D’aucuns soutenaient même l’avoir aperçue sous une forme masculine, au corps d’Apollon, sa longue crinière devenue brune, ou d’un roux piquant.

En fait, elle était protéiforme. Ses adeptes la voyaient toujours de la façon la plus engageante et séduisante pour les faire marcher sans relâche vers tant de cette profusion qu’elle offrait. Sa forme favorite restait toutefois celle de la jeune cavalière blonde.

Cependant, très peu de gens avaient été considérés comme assez purs par elle.

———

Les bardes étaient des musiciens sacrés, souvent itinérants mais pas toujours. Tel Theleilan, un des bardes attitrés de la reine Mo, reine du royaume d’Anthussia. Reconnu comme un des meilleurs poètes de sa génération, pas seulement dans son pays, le musicien était réputé pour passer sa poésie en premier lorsque confronté au choix entre celle-ci et une belle fille. Mais pas tout le temps.

Ainsi cette fois-là, où Nim le considéra comme assez pur, assez intègre, assez talentueux, pour vouloir en faire son amant d'une nuit, d'une nuit unique.

Au premier abord, il ne l'avait pas reconnue. Pour cette femme très belle, aux cheveux blonds si longs, comme Nim, aux formes superbes, qui se baignait déshabillée dans la rivière, il avait sorti ses plus beaux vers. Gentil et doux, naturellement beau et engageant, elle était restée en sa compagnie. Magicienne, elle avait fait apparaître un repas qu'ils avaient partagé. Séduite par ses chansons, par sa longue chevelure brune et bouclée, par ses yeux bruns rieurs, elle s'était abandonnée et il avait pu enfin laisser aller son intense désir d'elle.

Cela avait été une nuit inoubliable. Jamais Theleilan n'avait eu maîtresse aussi désirante et sensuelle. L’événement s'était passé dans une petite hutte de terre soudainement apparue, là, pas loin. Durant le sommeil, une lueur sortant d'un sac de voyage en cuir l'avait réveillé. La curiosité l’avait emporté. Il avait ouvert le sac pour découvrir une couronne de fleurs blanches irradiantes de lumière. Il avait alors réalisé que la femme qui dormait à ses côtés pouvait vraiment être Nim. Il allait s’emparer d’une des fleurs —quelle occasion incroyable! — qu'il n'avait rien compris de ce qui s'était alors passé. Il s'était retrouvé au cœur d'un tourbillon incroyable, pour entendre un cheval s'éloigner dans un galop d'enfer. Il s’était précipité à la porte. Dans la nuit finissante, entourée d'un aura lumineux, Nim s'enfuyait.

C’était vraiment elle : les longs cheveux blonds, la nudité sur le palefroi blanc, la couronne de fleurs… Elle était supposée n’être qu’un mythe. 

La monture galopait sur l’eau de la rivière sans s’enfoncer. Nu dans la fraîcheur de l’aube, Theleilan s’était mis à courir derrière eux dans l’onde mais soudainement avait perdu pied sur une roche lisse. Il avait pris une bonne tasse, avait eu de la difficulté à juste sortir sa tête de l’eau. Bientôt, le courant commençant à être fort, les eaux de plus en plus creuses, il avait été emporté…

Quand il s’était réveillé, il était étendu dans une grotte, complètement étourdi, tout mouillé. Il y avait un bruit de fond. Il découvrit que c’était celui d’une chute. Se relevant sur ses coudes, il se rendit compte que la grotte était derrière le rideau de celle-ci. Comment était-il arrivé là?

Il se rappela de ce qui venait de se passer. Nim… Jugé assez pur pour une aventure avec elle mais pas assez pour se saisir d’une de ses fleurs. Et la poursuite dans la rivière où il avait failli se noyer…

Un cheval s’ébroua à proximité. La cavalière mythique, sur son palefroi blanc, était auprès du musicien. Le temps qu’il reprenne ses esprits, elle lui avait fait signe de la suivre. Elle s’était éloignée vers l’intérieur de la caverne. Il avait entendu pour quelque temps le bruit des sabots puis plus rien. Se relevant, il était parti dans la même direction. Il s’était retrouvé face à un escalier taillé dans la pierre, tout illuminé, et avait décidé de le monter, pour découvrir tout en haut la source de ce rayonnement lumineux: un trou vers l’extérieur. Plein d’appréhension, il avait regardé dehors.

Le poète en avait été stupéfié. Les Îles Suspendues… Un des grands mythes véhiculés par les bardes des royaumes. Elles existaient dans la réalité. C’était vraiment un moment de sa vie plein de rebondissements comme il en avait rarement vécu.

Ces Îles s’abritaient dans un univers parallèle. Seuls ceux ayant un cœur très pur pouvaient s’y rendre ou y habiter. Elles étaient suspendues dans les airs, flottant au-dessus des nuages. Sur de nombreuses îles, il y avait des habitations et des services. Mais l’Île la plus centrale logeait le sanctuaire de la Cloche d’Or, objet en résonance avec le son fondamental du Cosmos. Ce sanctuaire était le point le plus sacré des mythes. La Cloche était régulièrement nourrie par des rituels, mélange de chants, de musique et de danse. Et neuf Grands Gardiens se chargeaient de sa protection.

Le barde aurait voulu les rejoindre. Ne voyait-il pas Nim, son cheval trottinant dans leur direction, maintenant vêtue d’une chaste robe de lin blanc, survolée d’un sterne, accompagnée de dauphins bondissant au-dessus de la mer de nuages? Sur l’île la plus rapprochée, où elle s’acheminait, il distinguait au loin deux silhouettes humaines, une grande et une petite.

Pour se rendre à cette Île la plus proche, ça lui aurait pris des bottes de sept lieux.

Theleilan sortit de la grotte et marcha sur le rebord d’une falaise de un à deux mètres de large. Il s’assit, les pieds pendant. Regardant en bas, il n’en vit pas le fond, couvert de nues. Pris par le vertige, il recula et se releva.

Il se rappela alors d’un barde qu’il avait déjà rencontré, du nom d’Ulfilla.

Très connu, réputé pour son talent, ce dernier attirait de grandes foules. En fait, celles-ci se déplaçaient pour le couple qu’il formait avec sa femme Taide. Il chantait d’une voix puissante et juste, alors qu’elle l’accompagnait à la cithare sur table.  

Les trois musiciens s’étaient croisés dans un de ces petits ermitages où tout barde pouvait  rejoindre ses collègues et discuter informellement de toutes sortes de sujets les touchant. Ulfilla et Taide avaient des personnalités si fortes qu’ils diffusaient une sorte de lumière. Theleilan avait reconnu des ollams, tout comme lui. Les bardes étaient des Initiés et ollam était un de leurs degrés les plus significatifs. Ils pouvaient livrer des messages en musique. Reines et rois s’en prévalaient, leur donnant des missions. 

Le couple était persuadé dur comme fer de l’existence réelle des Îles Suspendues. Qu’elles n’étaient pas un mythe. Que le Seigneur Épée Indomptable et sa dame, Clarté Lumineuse, avaient vraiment vécu et existaient en ce moment. Ulfilla avait même chanté en primeur un poème inédit sur leur histoire, une de ses compositions, toujours accompagné par Taide. Il prétendait le poème très proche de leur vraie histoire.

Les Îles maintenant devant lui, Theleilan ne pouvait que se joindre à leur opinion. Sur l’existence de Nim aussi puisqu’il l’avait rencontrée. Mais concernant les amants mythiques, tant qu’il ne les aurait pas touchés — et d’ailleurs comment les identifier? —, ils resteraient pour lui seulement des mythes.

Theleilan n’avait pas revu le couple depuis. Il devait probablement être en mission, comme beaucoup d’ollams, comme lui-même l’était cette fois-là.

Le poète regarda longtemps, se demandant sur quelle Île nichait la Cloche d’or. 

Puis, il quitta et retourna chercher son instrument, ses vêtements, ses bagages. Il était un peu perdu, la hutte ayant disparu avec Nim, mais les hennissements de Fafo, son cheval et ami, lui servirent de point de repère. 

Et il continua son chemin. 

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Prologue   Deuxième chant

 

© Michèle Dessureault, 2024

 

 

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