Épée Indomptable, Clarté Lumineuse - Deuxième chant

Theleilan arriva en début de soirée à une petite auberge. Il pourrait avoir le couvert et une chambre pour rien. Il n’aurait qu’à se maquiller un peu et animer la soirée par ses chansons. Et une fois dans la chambre, des rimes à écrire. Parce que Nim et les Îles l’avaient singulièrement inspiré. 

En entrant, il eut la surprise de revoir le couple Ulfilla-Taide assis à une table, sirotant une chope de mousseuse devant le plat de la soirée. Quelle coïncidence! Son instinct lui dit qu’à eux, il pourrait parler de son expérience. 

Ulfilla, reconnaissant un autre barde — ils portaient tous un bijou d’or en forme de cloche, un pendentif ou une épingle —, fit signe à ce dernier de les rejoindre. Le poète ne se fit pas prier.
La femme du propriétaire, une corpulente dame au début de la quarantaine, vint chercher la commande.

La serveuse partie, le temps que Theleilan trouvât une occasion d'aborder ce qu’il venait de vivre, la conversation fut banale.

— J’ai… J’ai vu… Je crois avoir vu Nim aux cheveux d’or.

Le poète avait parlé dans le dialecte des ollams, un jargon secret qu’eux seuls pratiquaient quand ils voulaient se parler entre eux par-dessus la tête des gens.

Ulfilla eut un recul. Taide ouvrit grand les yeux.

Theleilan leur raconta ce qui s’était passé dans sa vie depuis le moment de sa rencontre avec Nim. Le couple l’écouta sans dire un mot. À l’évocation du bon temps qu’il avait passé avec elle, ils avaient souri. Taide raconta alors ceci:

 — Nim a grandi dans les Îles Suspendues. Mais elle aimait beaucoup les hommes. Là-bas, t’as pas droit à l’amour, ni à l’intimité sexuelle, seulement aux relations fraternelles ou professionnelles. La punition peut aller jusqu'à la mort. Elle et un homme ont été sanctionnés. Il a été exécuté. Elle se promène en dehors des Îles pour sa peine. Elle a plus droit d'y habiter, doit jamais aller plus loin qu’une certaine île rapprochée et doit errer jusqu'à la fin des temps. 

— Vous avez l'air de la connaître...

— Ce qu'on en sait...

— J'ai déjà vu une femme au loin qui me faisait penser à Nim, ajouta Ulfilla. C'était peut-être elle. Mais Taide était avec moi.

Il regarda sa femme avec adoration. Il lui prit la main et la caressa. Elle lui rendit ses gages. Ils étaient vraiment épris.

À la première rencontre de Theleilan avec les deux bardes, il avait écouté ceux-ci parler des Îles comme s'ils y avaient vécu. À plusieurs mois près, ça ne changeait pas.

Les trois bardes animèrent la soirée, chope à la main, puis montèrent se coucher. Ils s'entassèrent à trois dans une chambre minuscule et miteuse — la vie d’un barde sur la route, outre le plat du jour, c’était ça —, le couple empilé sur un lit à une place et lui sur un futon à même le plancher. Assommé par la bière trop forte, ils s’écroula et s’endormit d’un sommeil vide. Les ronflements d’Ulfilla le dérangèrent quand même un peu.

Le lendemain, les trois allèrent dans la même direction. Ils chevauchèrent un bout ensemble, Ulfilla et Taide se déplaçant aussi avec ces nobles conquêtes, un des avantages à travailler pour les reines et les rois. Puis ils bifurquèrent à gauche à un croisement et il continua seul.

———

Ulfilla et Taide connaissaient cette région et n’eurent pas de problèmes à trouver l’entrée de la grotte, les informations données par Theleilan étant suffisamment claires.

Ils s’étaient assis sur le rebord de la falaise. Contrairement à Theleilan, ils n’avaient pas peur de tomber. En venant dans le monde que les mythes appelaient celui d’en bas, ou celui des mortels, ils avaient eu le droit de garder leurs pouvoirs magiques, ce qui incluait la capacité de voler.

Les yeux humides, ils regardaient les Îles. Une vision qu’ils n’avaient pas contemplée depuis des années. C’est là qu’ils avaient vécu la partie la plus significative de leur vie, des siècles auparavant. Ils n’y retourneraient que main dans la main, autant dire jamais. 

— Combien de vies on a vécu ensemble? avait-il demandé.

— Je sais pas. Une vingtaine?

— Moi non plus, je sais pas.

Ils restèrent ainsi plusieurs heures, en silence. Puis la nuit tomba.

Elle pointa du doigt. 

— Regarde!

Une baleine volante! Elle bondissait hors des nuages en chantant.

Et plus loin, ils virent des dauphins, cabriolant dans leur direction. Un albatros vint se poser à leur côté, les observant. Ulfilla fit apparaître un poisson frais et le tendit à l’oiseau, qui le goba. Les dauphins avalèrent aussi les mêmes friandises succulentes.

Puis Ulfilla sentit la main caressante de sa femme.

— Je voudrais embrasser le Seigneur Épée Indomptable.

— Quand tu veux, ma Dame. 

———
 
 

Premier chant   Troisième chant

 

© Michèle Dessureault, 2024

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