Épée Indomptable, Clarté Lumineuse - Douzième chant

Les quelques jours qui suivirent furent assez routiniers. Après s’être baignés, habillés, avoir mangé et rencontré le roi, ils allaient chanter au sanctuaire de la Cloche d’Or, s’accompagnant à la cithare et au luth, puis visitaient les groupes de malades à l’essai, commençant toujours par les Grands Gardiens. 

Au bout de la semaine, le médecin-chef les accueillit en plein désarroi.

—  Ils ont commencé à mourir dans les groupes à l’essai. Les traitements que vous avez appliqués les ont seulement prolongés.

Les trois  bardes se considérèrent, catastrophés. Les traitements d’alchimie sonore avaient été un peu pris au hasard, sans trop savoir si ça marcherait. 

— On va essayer autre chose.

Et d’essayer d’autres traitements d’alchimie sonore sur d’autre groupes.

Du côté des trois Grands Gardiens, un était déjà mort. Le décès des deux autres se déclara dans la journée.

Le roi n’était pas très content. Seuls deux Grand Gardiens survivaient encore — mais avec les boucliers protecteurs enrobant leurs îles, les trois musiciens s’attendaient à ce qu’ils gardent la santé. Les bardes durent subir les foudres royales. Trois jours plus tard, ils assistèrent à la mise en bière des trois défunts, rappel de la fragilité de la vie.

———

Après le souper, le trio s’amusa à cacher des objets et le premier qui le dénichait recevait un baiser sur la joue. Le palais, dans son immensité, s’y prêtait. 

Dans une recherche, Ulfilla souleva le futon sur le lit du Seigneur et découvrit des tiroirs coulissants. Toutefois, c’était verrouillé. Ce devait donc être très secret. Au lieu de chercher l’objet caché par Taide, il fouilla pour la clé. Il en trouva une dans un pot de fleurs à proximité. 

C’était la bonne.

Dans le tiroir qu’il ouvrit, de nombreux livres s’entassaient presque à rebord. En fait, de ces anciens rouleaux en minces lattes de bambou reliées par des cordes et appelés des liasses. Mais il y avait aussi quelques livres reliés et des rouleaux, tous en papier. Il prit une des liasses et commença à la lire.

— Taide, viens voir.

Elle arriva rapidement.

— Je crois que c’est un journal et c’est peut-être le Seigneur en personne qui l’a tenu. Va voir dans l’espace de Clarté Lumineuse si tu trouves quelque chose.

Elle revint peu de temps après.

— Il y a rien.

Peut-être y en avaient-ils aussi à l’ermitage, restés intacts. Il faudrait vérifier.

———

En attente des résultats pour les seconds groupes, les trois bardes se cherchaient de l’ouvrage. Désinfecter les îles qui restaient par magie? Les meilleurs magiciens encore vivants l’avaient effectué sans résultats avant leur arrivée. Leur magie avait-elle été assez forte? Peut-être pas. Des endroits délétères avaient-ils été oubliés? Peut-être. Neutraliser les foyers d’infection? Mais où étaient-ils? L’épidémie semblait venir d’une piqûre d’insecte, lequel n’était même pas encore identifié. Comment découvrir les foyers d’infection dans ce cas-là?

Les trois amis allèrent à l’ermitage pour réfléchir, amenant un pique-nique. Depuis la visite d’Ulfilla, celui-ci avait été rapetassé par magie et toute l’île avait repris son charme d’antan. Ils avaient même découvert une caisse de métal intacte, contenant une partie du journal du Seigneur.

Theleilan se promena. Lui seul n’avait pas de lien avec l’endroit, ne pouvait avoir de flashs, et pour une fois, la description correspondait avec celle du mythe. Parce qu’à date, il avait trouvé des différences notables entre ce dernier et la réalité. Des gens de cœur, il y en avait, mais moins que dans ses attentes. Dans les mythes, les Îles Suspendues étaient la récompense pour celle ou celui ayant atteint l’illumination spirituelle. Une telle personne pouvait s’y rendre, y habiter. Les bardes disaient aussi que cet être exceptionnel avait atteint la Cloche d’Or. Mais, la réalité ne correspondait à aucune récompense. Juste des gens essayant de survivre dans un milieu difficile et inégalitaire, avec des règles sévères prévues en fonction des puissants, comme dans le monde des mortels. Il se demandait s’ils avaient eux aussi leurs propres Îles Suspendues. 

Ils décidèrent de passer au peigne fin chaque île pour voir s’ils ne découvriraient pas quelque chose de suspect — et comment quelqu’un peut-il savoir que c’est suspect quand il ne sait même pas quelle est la norme? — et de re-désinfecter partout, par magie à défaut de mieux, surtout que celle combinée d’Ulfilla et de Taide était la plus forte, plus forte encore que les meilleurs magiciens des Îles encore vivants. Après ça, ils reverraient. Mais plus de bouclier protecteur, sauf exceptions. Les deux bardes étaient rendus au bout de ce dont ils étaient capables.

———

En dehors de ce pique-nique, Ulfilla et Taide étaient retournés à l’ermitage plusieurs fois, des fois chacun seul de son côté, des fois les deux ensemble. 

Ils essayaient des techniques de régression d’âge afin de descendre jusqu’aux vies du Seigneur Épée Indomptable et de la Princesse Clarté Lumineuse. Ils n’avaient jamais rétrogradé aussi loin dans le temps. Taide commença à se laisser infuser selon une méthode apprise par les bardes les plus avancés. Et cela finit par marcher. Un homme au début de la trentaine (mais il devait avoir des centaines d'années selon le monde d’en bas),  à la structure grande, fine et svelte, plein de prestance, revenait de manière récurrente dans sa mémoire. Quand à Ulfilla, il voyait et entendait ce qui semblait une belle jeune femme de près de vingt ans. Ce qui collait aux mythes. À un moment donné, il avait été malade et avait été soigné tendrement par sa dame. Et Ulfilla avait ressenti l'adoration que le Seigneur vouait à sa soignante. Grandi sans affection, personne ne s’était jamais occupé de lui ainsi.

Et leurs moments musicaux, où les doigts se mêlaient sur leur instrument, une sorte de longue et mince harpe couchée à sept cordes, au timbre grave et feutré. Au final, la musique accompagnait les deux bardes depuis le fond des âges, telle une ange fusionnelle.

Les deux musiciens avaient l'impression de reconstituer brique par brique la vie des deux amoureux d’avant leur bannissement. Ils avaient vraiment été eux. Écrivant dans un journal leurs expériences, ils auraient au retour assez de matériel pour de nouvelles compositions sur les amoureux mythiques — ce que Theleilan, reconnu pour la finesse de sa poésie, avait déjà commencé à faire.

———

Un matin, en sortant faire sa promenade matinale dans le parc, Ulfilla découvrit assis sur les marches de l’entrée principale Neuf Nuages et Lumière d’Érudition, vêtus de blanche soie fine malgré la saleté recouvrant la pierre sous eux. Le barde se questionnait régulièrement sur l’insouciance qu’ils manifestaient concernant la propreté de leurs vêtements, eux toujours si bien habillés.

— On ramène ce deuxième objet de puissance, montra Neuf Nuages, tout fier, s’exprimant dans sa langue maternelle.

Il tenait dans ses mains un tripode en bronze de très belle facture, d’environ 20cm de haut.

Ulfilla s’assit à côté de lui et prit l’objet, qu’il tourna dans tous les sens et toucha avec volupté, percevant de fortes vibrations. Content, il le remit à Neuf Nuages.

— À part ça, les gars, ça va?

— On a entendu dire qu’il commençait à avoir des guérisons alors on est revenus, Lumière d’Érudition et moi. On a décidé d’attendre pour les autres objets.

— Je sais pas d’où vient la rumeur mais y en a pas eu. Pas de guérisons.

Les deux Îliens se regardèrent. Et avant même qu’ils aient ouvert la bouche, Ulfilla leur proposa de rester avec eux, l’endroit étant un des mieux protégé sur le plan sanitaire de toutes les Îles Suspendues.

— Vos familles aussi peuvent venir, poursuivit le barde.

Puis ce furent des banalités.

— Chaque matin, après avoir rencontré le roi, nous les trois bardes, on va faire vibrer la Cloche d’Or. Il y a pas de rituels, sinon. Voulez-vous venir avec nous tout à l’heure?

Neuf Nuages, comme danseur de la Cloche d’or, ne se fit pas prier. 

Et ce matin-là, il y eut de la danse pour la première fois depuis des semaines devant la Cloche d’Or. Elle était improvisée sur la musique des bardes avec des vêtements impromptus — il n’y avait pas eu de préparation — mais la félicité illuminait le visage du danseur. 

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Onzième chant   Treizième chant

 

© Michèle Dessureault, 2024

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