Épée Indomptable, Clarté Lumineuse - Dixième chant

Les îles Suspendues étaient un archipel distribué sur plusieurs plans horizontaux. Certaines îles étaient couvertes de pavillons et de jardins. Plus l’île était grande et élevée dans les airs, plus le personnage y résidant était notable, le roi vivant dans l’île à la fois la plus haute et la plus grande. Plus bas, rayonnait l’île-sanctuaire de la Cloche d’Or, entourée par les îles des neuf Grands gardiens. Et en-dessous, se concentraient des îles avec tout plein de services et de quartiers d’habitation. Finalement, à la périphérie, tout plein de petites îles sans demeures, sinon peut-être de petits ermitages, ou des fermes, ou ce qu’Ulfilla appelait les fabriques de bébés. Des îles à la végétation luxuriante où des gens bravaient l’interdit et allaient faire l’amour en cachette. Îles périphériques où les Florimontains s’adonnaient aussi au pillage.

Atterris sur l’île du sanctuaire, Ulfilla pointa du doigt une des îles alentour. 

— On ira la visiter en revenant. Le Seigneur Épée Indomptable est supposé y avoir eu son palais.

Encore un autre truc pour faire planer Theleilan. 

— Ils ont vraiment vécus? demanda-t-il.

Il n’eut qu’un sourire comme réponse.

La Cloche d’Or reposait dans une cour intérieure carrée, sur un petit autel tout aussi carré en marbre blanc ciselé d’un seul bloc et recouvert d’un baldaquin de fine soie blanche brodée d’or, au toit de tuile. Sous elle s’étalaient des cristaux polis mais non taillés, de couleur opalescente, en forme de galets. L’autel lui-même trônait au milieu d’un grand cercle aussi de marbre blanc. À ce que les bardes en savaient, seuls certains prêtres avaient le droit de franchir cette circonférence, le baldaquin étant encore plus restreint. Sur le pourtour intérieur de la cour carrée, des rangées de bancs et des stations étaient disposées pour que musiciens, chanteurs et danseurs puissent s’y asseoir, ainsi que certains officiers de rituels. Il y avait évidemment assez d’espace pour les danses.

Les rituels étaient assez théâtraux et attiraient les visiteurs. Ceux-ci pouvaient s’essaimer sur trois côtés de la cour carrée, où une galerie couverte les accueillait. La dernière face du quadrilatère était destinée au pavillon où tous les instruments, accessoires et vêtements étaient conservés et où artistes et prêtres se lavaient, se changeaient et se maquillaient. 

À part les trois bardes, aucune âme qui vive! Héler n’avait rien donné. Ni faire le tour. 

Avaient-ils le droit d’aller dans la cour intérieure? Peut-être était-ce un sacrilège? Ils ne s’y aventurèrent pas. Mais, les bons bardes qu’ils étaient voulaient tous entendre la Cloche vibrer. Ulfilla fit un geste au hasard et par simple magie la Cloche d’Or sonna, de plus en plus fort. Il l’entendit, Taide l’entendit et Theleilan l’entendit. Les trois l’entendirent. D’après leurs mythes, personne ne l’entendait au-delà des Îles Suspendues car seuls les cœurs vraiment purs l’entendaient. La Cloche vibra d’elle-même plusieurs minutes. Les musiciens savourèrent le moment en silence, les yeux fermés.

Ils terminèrent par un dernier tour de l’île où Ulfilla et Taide purifièrent par magie tout ce qu’ils purent trouver. Ça prenait bien plus que de la magie pour mener à bien leur mission — ils en étaient conscients — mais ils n’osaient pas la négliger. Theleilan les suivait en répétant par visualisation ce que le couple lui avait suggéré. Au moins, il avait la sensation d’être utile.

Avant de quitter, Ulfilla aussi posa un bouclier protecteur au-dessus de toute l’île. Elle resterait protégée.

———

L’île où avait demeuré le Seigneur Épée Indomptable… Un pèlerinage pour le couple.

Les trois musiciens atterrirent dans un magnifique jardin, retourné à l’état sauvage. 

Taide et Ulfilla avaient eu de nombreux flashs depuis leur arrivée, montrant à quel point ils y avaient déjà vécu. Mais cet endroit fut plus marquant que les autres.

Tout était à l’abandon. Après le bannissement du Seigneur Épée Indomptable, plus personne n’avait voulu occuper l’île et ses dépendances, même son remplaçant, qui s’était établi ailleurs. Comme seule une vingtaine d’années s’était passée, le couple pouvait reconnaître de nombreux lieux. 

Les deux membres de celui-ci observaient partout, un pincement au cœur.

Ulfilla prit la main de Taide et l’entraîna à sa suite. Theleilan les suivit sans dire un mot, les laissant à leur visite.

— Regarde là.

Une cascade coulait d’un rocher au centre d’un grand bassin où des kois s’animaient et des lotus en fleurs s’épanouissaient. Des vibrations lumineuses sortaient d’un des bancs autour. Il « appelait ». Le trio s’y assit et s’abîma dans la contemplation de l’eau. C’était vraiment reposant. Qui alimentaient les poissons en temps normal? Theleilan leur tira de quoi se nourrir. Voir les carpes se précipiter autour des miettes de pain les amusa. 

Tout autour, s’étalaient des bosquets odorants de roses et de pivoines. Ulfilla alla cueillir une des fleurs et l’offrit à Taide. 

— À ma dame!

Celle-ci rougit de plaisir.

Le tour du jardin complété, les bardes franchirent le portail et entrèrent dans l’immense pavillon principal, d’un seul étage, aux cloisons toutes blanches. La pièce centrale, à aires ouvertes, celle où avait vécu le Seigneur, était vaste. Ici un bureau le long d’une gigantesque fenêtre d’où il pouvait contempler le jardin, là le lit, là-bas une table pour manger, assez grande pour accueillir des invités. Une bibliothèque, vidée de presque tous ses livres, un espace de méditation, des chaises, des lampes partout, des bibelots. Tous meubles bas, comme autrefois dans les royaumes. Les musiciens n’en revenaient pas d’autant d’espace, d’autant de richesses dédiées à un seul homme.

Ulfilla alla s’asseoir sur le lit, un lit à une place de célibataire. Les amours du couple mythique étaient restées très chastes sur les Îles. 

Il tapota le lit en caressant Taide des yeux.

— Viens t’asseoir avec moi.

Une fois assise, il lui prit la main.

— Je crois que Taide vient de faire quelque chose dont Clarté Lumineuse a jamais eu l’occasion : partager le lit de son amoureux. Et si on venait ici cette nuit?

Elle approuva d’un sourire.

Theleilan, qui s’était contenté de les suivre en silence et n’avait pas relevé la comparaison, s’insurgea.

— Je croyais que c’était la mort?

— C’EST la mort. Mais on a pas laissé le choix au roi. On menait notre vie de couple ou il se passait de nous.

Le tour du pavillon complété, ils allèrent dans les dépendances. Une des pièces fit réagir fortement Taide. Ce devait être l’espace de Clarté Lumineuse, avec un lit — à une place comme tous les autres qu’ils avaient vus —, une petite table de travail, une étagère avec des livres, des lampes…Taide s’empara d’un des livres, sorte de rouleau de papier protégé par un sac de cuir souple, et examina le titre. Le déroulant, elle lut les premières lignes puis le donna à Ulfilla. Elle récita par cœur la suite du contenu. 

— Mais c’est vraiment ce qui est écrit! s’exclama le barde.

Il était renversé.

Alors qu’ils sortaient pour aller reconduire Theleilan au pavillon, Taide pointa du doigt :

— Là!

Une immense tortue s’avançait dans leur direction.

— Elle est encore là, elle? s’écria Ulfilla comme dans un réflexe.

— Vous avez déjà vécu ici, on dirait, s’exclama enfin Theleilan, qui se posait des questions et espérait une réponse. 

Les deux bardes se contentèrent de sourire, main dans la main.

Cette visite était vraiment pleine de surprises. Elle venait chercher continuellement le couple d’amoureux. Des souvenirs remontaient de façon régulière. Et ils se dirent qu’au final, ils devaient bien être le Seigneur Épée Indomptable et sa dame, Clarté Lumineuse. 

Ulfilla purifia ici aussi l’île par magie et posa le même bouclier protecteur qu’au-dessus de celle de la Cloche d’Or.

———
 
 

Neuvième chant   Onzième chant

 

© Michèle Dessureault, 2024

 

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